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Sarah Haïlé-Fida

Déplacement en terrain miné : les biais cognitifs dans le recrutement

Un recrutement sans biais, c’est un peu comme le Yéti : on en parle, mais on ne l’a jamais vu. D’ailleurs, existe-t-il vraiment une façon de recruter sans préjugés  ? Et toutes les organisations sont-elles attentives à leurs processus de recrutement ? 


Si les façons de recruter sont très culturelles, chaque pays a sa façon d’évaluer les candidates et les candidats. Aucune façon de faire n’est exempte de biais. Être humain, c’est avoir des biais. Aux Pays-Bas, où l’accent est, davantage qu’en France, mis sur le potentiel d’une personne plutôt que sur ses études, les biais sont encore bien présents dans les processus de recrutement.

Qu’est-ce qu’un biais cognitif ?

Un biais cognitif, c’est une autoroute de la pensée qui nous permet de fonctionner au quotidien. Et oui, ce n’est pas un problème d’avoir des biais cognitifs, d’ailleurs tout le monde en a !

 

Nous recevons 11 millions de stimuli par seconde ! 11 millions ! Autant dire que nous n’avons pas la capacité de traiter individuellement chaque stimulus. C’est bien pour cela que notre cerveau fonctionne en prenant des raccourcis.

 

Mon corps a une sensation de froid ? Je me couvre : pas besoin de tergiverser ou de se demander si on a besoin de se couvrir.

 

Je dois me déplacer ? Mon corps se met en mouvement sans que j’ai besoin de réfléchir à mettre un pied devant l’autre.

D’où viennent les biais cognitifs ?!

De notre passé préhistorique, lorsque nous étions des proies. Notre cerveau a alors développé un système d’analyse hyper rapide des situations de la vie quotidienne. Cela nous permettait de ne pas nous interroger sur la dangerosité d’un tigre, mais au contraire de prendre la fuite au plus vite.

 

Comment identifier qu’une créature est amie ou ennemie ? On utilise le raccourci : plus elle nous ressemble, plus il y a de chance qu’elle soit amie, plus elle est différente, plus il y a de chance qu’elle soit ennemie.

Et ce biais-là fait des ravages dans le recrutement, mais pas que…

Pourquoi subsistent-ils aujourd’hui ?

Si le tigre à dents de sabre ne nous fait plus courir de risques, en tant qu’humain, nous avons gardé des réflexes qui ont évolué avec le système dans lequel nous vivons.

 

Est-ce que vous savez pourquoi quand un ouragan porte un nom féminin, il fait plus de victimes que quand il porte un nom masculin ? Parce qu’on attribue plus de douceur et moins de violence aux femmes… Les consignes d’évacuation ou de mise en sécurité sont ainsi globalement moins respectées quand une tempête porte un nom féminin… (Exemple cité par Dr Marcia Goddard, neuro-scientifique néerlandaise et spécialiste de la diversité et de l’inclusion).

 

Les biais sont inconscients, ils sont automatiques et il en existe 250. Essayer de s’en défaire demande un certain effort…

Dans le recrutement, ça donne quoi ?

Le recrutement est une interaction sociale qui, comme toute rencontre entre deux personnes, fait la part belle aux préjugés et aux biais. Voici les principaux biais qui influencent le recrutement.

L’effet de halo

C’est ce qui est à l’œuvre quand une évaluation globale est fortement influencée par un aspect spécifique.

 

Par exemple, on aura tendance à surévaluer les compétences d’une personne ayant du charisme ou un sourire chaleureux. Alors qu’on est d’accord que ces deux aspects ne disent absolument rien des compétences professionnelles de cette personne…

Le biais de première impression

Il y a une rumeur qui dit que la personne qui vous reçoit en entretien de recrutement se fait une idée de vous en quelques secondes et que rien ne pourra la faire changer d’avis… Ce n’est pas qu’une rumeur, c’est le biais de première impression.

 

Si la première impression est bonne, ce ressenti influence l’ensemble de l’entretien, voire l’ensemble du processus de recrutement.

Encore une fois, notre cerveau aime les raccourcis ! Il préfère décider vite, ça lui demande moins d’énergie.

Ce biais fonctionne très bien avec…

Le biais de confirmation

C’est le fait de privilégier les informations qui vont dans le sens de ce que l’on croit déjà. Par exemple, si vous pensez que les personnes qui viennent de la même école que vous sont meilleures pour le job que celles d’autres écoles, vous allez apprécier positivement toutes les personnes qui postulent venant de la même école que vous.

Les candidates et les candidats venant d’autres écoles partiront avec un handicap.

Le biais de similarité

Qui se ressemble s’assemble… Les entreprises recrutent des personnes qui ressemblent à celles qui travaillent déjà dans l’entreprise. Elles ont fait le même type d’études, elles ont une expérience similaire, elles ont les mêmes caractéristiques socio-économiques… Il semble toujours plus simple de recruter et d’intégrer des clones…

La principale raison qui est donnée est le cultural fit (le fait de bien s’intégrer dans la culture de l’organisation).

Et cela peut aussi jouer un rôle quand on est français aux Pays-Bas : entre l’implicite favorisé par la communication à la française et le côté direct de la communication à la néerlandaise, les différences ressortent davantage  que les similarités.

Le biais de conformité

C’est l’effet du groupe : une recruteuse ou un recruteur a un avis différent du reste de son équipe, mais ne défend pas son point de vue et se rallie à l’opinion majoritaire.

Le biais de contraste

C’est ce qui se passe quand on évalue une candidate ou un candidat par rapport à la personne précédente plutôt que d’utiliser des critères d’évaluation objectifs.

Le biais de récence

On se souvient mieux de ce qui est récent. On aura donc tendance à valoriser la candidature de la dernière personne rencontrée alors que la première passera aux oubliettes.

 

On l’a dit, il existe 250 biais recensés et tous ne jouent pas un rôle dans le recrutement, mais tous ceux que l’on y retrouve sont un problème. Pour les personnes qui postulent, mais aussi pour les entreprises : ce sera le sujet de notre prochaine chronique sur la diversité et l’inclusion en entreprise.

La quête du recrutement non biaisé

Quelle est la meilleure façon de recruter ? Ou plutôt, quelle est la meilleure façon de prédire la performance d’une personne avant de l’embaucher ?

La réponse à cette question est aussi très culturelle.

La France, par exemple, perpétue un mode de recrutement qui privilégie les grandes écoles, les écoles de commerce. Il suffit de regarder quelques annonces pour se rendre compte que les écoles de commerce et d’ingénieurs sont citées dans la majorité des offres d’emploi.

Aux Pays-Bas en revanche, l’accent sera davantage mis sur l’expérience. Certes, certaines offres mentionneront un niveau universitaire, mais il sera accepté qu’on y réponde avec de l’expérience professionnelle même si on n’a pas fait d’études universitaires.

 

En réalité, ni la formation, ni l’expérience ne sont prédictives des performances d’une personne une fois en poste !*

 

Mais si ni l’expérience, ni les études ne prédisent la performance dans le poste, alors à quoi se fier ? Comment éviter que les biais cognitifs simplifient le choix sur de très mauvaises bases et que le recrutement ne soit, comme beaucoup le pensent, qu’une question de feeling ?

La tech va-t-elle nous sauver de nos biais ?

C’est la promesse de nombreuses IA : remplacer les personnes chargées du recrutement par des algorithmes pour se débarrasser des biais cognitifs si humains.

 

Après tout, la tech n’est pas biaisée puisqu’elle n’a pas de ressenti ou de sentiment… Sauf que les IA et les algorithmes sur lesquels elles sont fondées sont bien créés par des humains… et leur biais !

Certaines plateformes de recrutement demandent aux candidates et aux candidats d’enregistrer une vidéo qui sera “interprétée” par une IA qui fera une analyse des expressions du visage pour détecter par exemple l’assertivité de la personne.

Le problème, c’est que ces IA ont été entraînées à reconnaître les expressions du visage sur des personnes blanches… et neurotypiques !

 

Les personnes à la peau non blanche et les personnes neuro-atypiques, par exemple avec un trouble du spectre autistique, sont disqualifiées d’emblée parce que l’IA soit n’arrive pas à interpréter leurs expressions, soit les juge incompétentes parce qu’elles ne regardent pas la caméra…

L’un des prédicteurs les plus sûrs de la performance est la capacité à apprendre et à résoudre des problèmes.

Les évaluations par le jeu peuvent permettre de mettre en lumière les capacités à résoudre des problèmes ou la pensée analytique qui sont des prédicteurs de la capacité d’une personne à évoluer et à se développer dans une entreprise. 

 

Ce modèle et ses outils sont d’ailleurs proposés par la start-up néerlandaise, Equalture.

 

La seule façon de diminuer l’impact des biais cognitifs dans le recrutement est d’activement sensibiliser les personnes responsables du recrutement, mais pas seulement. Les managers, les RH doivent également suivre des formations. 

 

Au-delà, les modalités de sélection doivent être standardisées, chaque candidate et chaque candidat suivent le même parcours et répondent aux mêmes questions, et réfléchies en fonction du poste et de ce que l’on sait des compétences requises pour performer.

 

Les biais cognitifs sont universels, toute personne qui recrute, qui sélectionne d’autres personnes, travaille à travers ses propres biais. C’est la façon dont les biais cognitifs sont reconnus et traités qui fait la différence. C’est là que les politiques de diversité et d’inclusion jouent un rôle. Comment ? C’est ce que nous verrons dans la prochaine édition, en nous concentrant sur la façon dont le sujet est abordé aux Pays-Bas.

 

 

*L’expérience a une corrélation de 0.06 [Schmidt, Oh & Schaffer, 2016] et la corrélation entre le niveau d’études et les capacités d’analyse et de résolution de problèmes est de 0.221 [étude Equalture]. (0 = aucune corrélation. 1 = forte corrélation).