Les élections législatives néerlandaises de 2021 pour les nuls

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Dès aujourd’hui et pendant trois jours, les Néerlandais vont voter pour choisir leurs nouveaux représentants à la Seconde Chambre. Même si nous ne sommes pas invités à participer à ces élections majeures (l’équivalent des présidentielles françaises), ça ne nous empêche pas de nous y intéresser. Enjeux, campagnes, partis, sondages : Francine décrypte les élections législatives de 2021.

Si le système électoral français a le mérite d’être infiniment plus simple à comprendre que le système néerlandais, il est beaucoup moins démocratique. En France, c’est facile : comme lors d’une compétition de télé réalité, on élimine les candidats au fur et à mesure pour qu’il n’en reste qu’un. Ainsi, un candidat peut devenir Président de tous les Français en ayant convaincu seulement 24 % des électeurs au premier tour, comme E. Macron aux dernières élections. Au deuxième tour, 76 % des votants ont donc dû choisir entre la peste et le choléra, voire simplement « faire barrage ». Le président élu gouverne alors de façon jupitérienne, en créant un gouvernement qui ne l’éclipsera pas car « seul le président gouverne et décide » (François Mitterrand dans Le Coup d’Etat permanent). Sans surprise, le modèle néerlandais est diamétralement opposé au nôtre et reflète la capacité infiniment culturelle de ce peuple à faire des compromis pour collaborer : Les 150 sièges de la Seconde Chambre (a.k.a Chambre Basse ou Tweede kamer) vont être attribués proportionnellement au nombre de voix reçues par chaque parti lors de ces élections. Cette répartition se fait de façon très complexe à base de seuil de représentativité, d’arrondi, de division entière, de quotient simple, de moyennes, et autres subtilités.

Par exemple, aux dernières élections de 2017, le parti du Premier ministre actuel, Mark Rutte, avait reçu 2 238 351 voix (21,29  %) et s’était donc vu attribuer 33 sièges sur les 150. Les autres sièges (117) ont été répartis proportionnellement entre 12 autres partis politiques. Les Néerlandais peuvent donc voter sans avoir le sentiment d’investir en bourse et de risquer de tout perdre s’ils n’ont pas la bonne stratégie.


Au lieu d’un petit papier format 105 x 148 mm avec un seul nom, les Néerlandais se voient donc remettre un immense poster avec le nom de tous les candidats pour chaque parti. Ils doivent colorier la case de leur candidat.e préféré.e avant de mettre leur poster dans l’urne-poubelle.

On retient :

Scrutin à un seul tour

Plurinominal = il y a plusieurs gagnants

Proportionnel = les sièges sont répartis entre les partis proportionnellement au nombre de voix obtenues

Liste ouverte avec vote préférentiel = les électeurs peuvent choisir un candidat sur la liste du parti

Apprendre à se mettre d’accord pour gouverner

La partie est loin d’être gagnée une fois que les Néerlandais ont regroupé cette grande bande bigarrée de représentants !  Les partis doivent désormais faire des compromis sur leurs programmes afin de se regrouper dans une alliance et créer une majorité (75 sièges). Cette majorité, qu’on appelle la coalition, va former un gouvernement (le cabinet ministériel) ; le reste forme l’opposition. La coalition se choisit également un Premier ministre (généralement, le chef du parti comptant le plus de représentants) qui sera loin d’avoir le rôle du grand patron, contrairement au Président français.

L’an dernier, il a fallu 208 jours (!) aux partis pour se mettre d’accord et former une coalition. Le parti majoritaire de Rutte (le VVD) n’a pas voulu s’allier avec le deuxième parti, l’extrême droite de Geert Wilders (PVV). Il a donc fallu chercher d’autres partenaires et faire de nombreuses concessions pour finalement former une alliance entre 4 partis.

 

On retient :

Pour gouverner, aucun parti ne peut se passer de partenaires. Les élus doivent donc faire des compromis pour collaborer.

Les élections législatives de 2021 : ça dit quoi ?

Comme en France, les grands partis sont en perte de vitesse aux Pays-Bas. Cette année est un nouveau record du nombre de partis en campagne : les Néerlandais devront choisir leur candidat parmi près de 40 partis politiques, parmi lesquels le parti pour les animaux, le parti des 50 Plus, le Parti pirate ou encore le parti Jésus Vit. Tout un programme. Les négociations entre les chefs de parti pour former une majorité (coalition) risquent donc de durer tout autant que l’an dernier !

 

Rutte : 3 petits tours et puis s’en… reste.

 

Cela fait plus de 10 ans que Mark Rutte est à la tête du gouvernement et tous les sondages s’accordent à dire qu’il devrait y rester. D’après les dernières intentions de vote, il devrait même remporter plus de sièges qu’en 2017 : l’enjeu de ces élections n’est donc pas de savoir qui sera numéro un mais qui sera, loin derrière, numéro deux.

 

Pourtant, en théorie, Rutte a démissionné du gouvernement suite à un long scandale sur les allocations familiales (la Toeslagenaffaire). Pas question d’entrer dans les détails, simplement de confirmer à qui n’y comprendrait rien que, en effet, il n’y a rien à comprendre. Pour Antoine Mouteau, correspondant de Radio France, Arte et Courrier International aux Pays-Bas, “cette démission est une manœuvre politique suite à un rapport très critique de la commission parlementaire”, une sorte de mea culpa à quelques mois des élections “pour faire table rase” et briguer un quatrième mandat.

 

Si les électeurs se montrent aussi indulgents avec Rutte, c’est qu’il apparaît comme l’homme de la situation. Dans un pays peu habitué à la figure forte du chef de l’État, les interventions télévisées de Rutte ont eu un certain effet sur sa réputation d’homme capable, de manager responsable, et donc de valeur sûre pour ces élections. En pleine crise sanitaire, les Néerlandais, pragmatiques, préfèrent voter pour celui qui maintient l’embarcation à flot depuis déjà un an plutôt que de changer de dirigeant en pleine tempête.

Bien sûr, comme beaucoup de gouvernements à travers le monde, celui de Rutte est critiqué pour sa gestion de la pandémie. Son intelligente lockdown ne s’est pas avéré si malin et, depuis le durcissement des mesures, une frange du pays gronde.  

 

Les thèmes de campagne

 

Sans surprise, la Covid est sur toutes les lèvres pendant cette campagne : Rutte a même dû revoir sa politique très libérale pour y intégrer un volet social et sortir les Néerlandais d’une crise qui n’est pas que sanitaire. Aggravée par la pandémie, la crise du logement est également devenue un thème majeur ces dernières semaines, selon Antoine Mouteau.

 

Mais la crise sanitaire, et on peut bien lui accorder ça, a éclipsé l’un des thèmes majeures des campagnes électorales ces dernières années : l’immigration. On n’entend plus la litanie habituelle des extrêmes droites qui font leur pain sur la xénophobie ambiante. Geert Wilders tente bien de remettre l’Islam et la crise migratoire au cœur du débat, mais c’est peine perdue et son parti populiste est donc en perte de vitesse. 

 

D’autant que le bourbier interminable du Brexit n’a encouragé aucun pays à prendre son ticket pour être le prochain à sortir de l’UE : les eurosceptiques font profil bas car le Nexit n’est pas une proposition très populaire pour ces élections. Malgré tout, le ressentiment et la défiance des Néerlandais envers les pays du Sud – dont la France et la Belgique (!) – ne cessent de croître. Selon Antoine Mouteau : « Les Pays-Bas ne supportent plus d’alimenter ces « profiteurs » “dépensiers” et “fainéants””;  la coupe est presque pleine.

Sans la crise de la Covid, il aurait été beaucoup plus compliqué pour Rutte de faire les scores qui s’annoncent, vu le nombre de casseroles qu’il se traîne. La situation sanitaire le sert donc directement - il apparaît comme l'homme fort de la situation –, et indirectement – ses opposants ne peuvent pas orienter le débat sur leurs thèmes de prédilection.

L’organisation de la campagne et des élections

Difficile pour les candidats de faire campagne en temps de Covid. Pas question de s’offrir des bains de foule pour serrer des paluches et se faire prendre en selfie. Les candidats ont dû se contenter de débats télévisés sans public et de meeting mollassons sur Zoom.

Sauf Thierry Baudet (FvD – extrême droite) : le contestataire récalcitrant continue de sillonner secrètement le pays à bord de son bus magique.  

 

Afin d’éviter l’affluence dans les bureaux de vote, les Dutch peuvent se présenter aux urnes pendant trois jours au lieu du mercredi habituel. Comme de coutume, les isoloirs (sans rideau) sont installés dans des endroits absolument improbables : cinémas, cafés, églises, hôtel. Au Rai, il est même possible de voter façon Drive, sans sortir de son véhicule. 

 

Pour la première fois, les personnes de plus de 70 ans ont également pu voter par voie postale. Si la possibilité d’un vote électronique avait été écartée, il y a quelques années, par peur d’une cyber attaque (russe), le vote postal ne rassure pas tout le monde, surtout après la débandade étasunienne. Post NL et le gouvernement se sont engagés à renforcer la surveillance des centres de tri du courrier pour éviter la disparition des bulletins. Cette élection pourrait donc servir de référence pour celles à venir. 

 

 

Vous savez tout ! Crise sanitaire oblige, ces élections législatives n’ont pas les mêmes enjeux que celles de 2017 et le dépouillement se fera sans suspense. Mark Rutte a toutes les chances de rester Premier ministre mais les couleurs de la coalition vont très certainement changer : à suivre !

uN PETIT RAPPEL avant de partir !

La Tweede Kamer (Seconde Chambre) a trois fonctions principales :

Contrôle du Gouvernement

Colégislateur
(avec le Gouvernement et la Première Chambre)

Représentation de la population