Pourquoi les escaliers Dutch sont des pièges mortels ?

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Quiconque a déjà entrepris de monter ses courses ou descendre ses poubelles dans un escalier Dutch s’est déjà demandé pourquoi un peuple si ingénieux, capable de bâtir digues et ponts pour dompter les éléments, a imaginé des escaliers aussi casse-gueule. Francine vous donne des éléments de réponse.

Il faut bien être trapéziste pour s’aventurer dans les trap, cousins pas si éloignés de l’échelle, aussi proches de l’escalier que la tringle à rideau l’est de la barre à traction. Pas question de dévaler les marches quatre-à-quatre le nez sur son téléphone : les nouveaux venus préfèrent d’ailleurs les descendre sur les fesses. En plus d’une pente vertigineuse digne d’un tremplin de saut à ski, les escaliers Dutch, coincés dans une cage étroite, offrent souvent une rotation malveillante qui rend encore plus difficile la technique du « serrer à droite ».

Les Français avaient pourtant tout compris

Dans le reste du monde, la majorité des escaliers est construite sur les principes sensés de l’architecte français François Blondel : M = 2h + g. La marche (horizontale) fait le double de la contremarche (verticale) : les dimensions idéales pour que l’effort du grimpeur soit constant et le confort optimal.

Dans le modèle néerlandais, cependant, la marche est à peu près de la même taille que la contremarche : il n’y a donc que très peu d’espace pour le pied, alors même que les Dutch ont les plus grands pieds du monde. Pourquoi ce choix aussi peu ergonomique ?

Par sens de l’économie (oh ! surprise !)

Au 17ème siècle, Amsterdam connaît un boom économique sans précédent et la ville est envahie de marchands qui veulent tous une maison sur les canaux afin d’y transporter leurs marchandises. En quelques décennies, la population passe de 50 000 à 200 000 habitants, faisant d’Amsterdam la troisième ville du monde après Londres et Paris. 

 

Pour faire face à cet engouement et organiser l’espace de façon optimale, la municipalité imagine un ingénieux plan d’urbanisme (ne manquez pas de visiter le passionnant musée des canaux pour en savoir plus). Les terrains autours des canaux sont divisés en parcelles étroites – à peine plus de 5 mètres au 17e siècle – pour aligner autant de maisons que possible. Si les plus riches pouvaient s’offrir deux parcelles pour y construire de larges habitations (notamment sur les bords du Herengracht), la plupart des maisons des canaux sont grandes et mince, à l’image de leurs habitants.

 

 

Dans des maisons aussi étroites, pas question de construire des escaliers qui boufferaient tout l’espace. Comme les maisons des canaux, les escaliers sont extra-compacts pour remplir le moins mal possible leur fonction : permettre de monter et descendre. Ils deviennent d’ailleurs un symbole de statut : les maisons les plus larges peuvent se permettre des escaliers plus volumineux qui semblent, en comparaison, majestueux.

La fin du calvaire

Si les parcelles s’étirent au fil des siècles, autorisant des constructions de plus en plus larges, les escaliers restent traditionnellement peu encombrants (comprendre : impraticables) jusqu’à très récemment. Ça n’est qu’en 1992 que le pays établit une réglementation sur la taille des escaliers dans les nouveaux bâtiments. Quelqu’un aura enfin lu les statistiques effarantes sur les accidents d’escalier : des centaines de morts chaque année aux Pays-Bas, plus encore que par accident de la route.

 

Les chutes sont si fréquentes qu’elles sont entrées dans le langage courant : pour signaler à votre collègue que vous avez remarqué sa nouvelle coupe de cheveux, vous pouvez ainsi lui lancer : « Ben je van de trap gevallen en is jouw haar gebroken? », qui se traduit littéralement par : « T’es tombé dans les escaliers et tu t’es cassé les cheveux ? »

Ben je van de trap gevallen en is jouw haar gebroken?

Déménager à la Dutch

Les Néerlandais ne sont pas fous : aucun ne tenterait de manipuler une machine à laver dans ces pièges mortels. Les Dutch (mais qui l’ignore encore ?) déménagent par la fenêtre. Si l’on croise de plus en plus de monte-charges électriques des entreprises de déménagement, la plupart des gens utilisent les crochets dont sont coiffés tous les bâtiments pour hisser leurs meubles, comme les marchands d’autrefois.

5 Conseils pour survivre aux escaliers Dutch

  1. Tout d’abord, au moment de choisir un appartement, évaluez honnêtement vos talents d’équilibristes, y compris après les Friday drinks. Un pas de bourré dans les escaliers et c’est tout votre own risk qui risque d’y passer.
  2. N’aillez honte de rien. Personne ne vous jugera (sauf les Dutch) de gravir les escaliers en crabe ou de les descendre sur les fesses. Soyez créatif pour pallier l’évidence :  un pied ne tient pas sur une marche dans le sens de la longueur. 
  3. Faites bon usage des rampes. Conseil difficile à suivre lorsque vous descendez la poussette, mais inévitable si vous avez les mains vides.
  4. Rangez votre téléphone ou remportez un Darwin Award bien mérité.
  5. Équipez-vous pour l’effort : retirez vos talons ou vos tongs, retroussez vos robes et vérifiez vos lacets. Inutile de rajouter des difficultés à cette prouesse quotidienne.