Vers une culture du consentement aux Pays-Bas ?

En 2020, aux Pays-Bas, une femme sur cinq indiquait avoir déjà subi une pénétration non consentie (67 % d’entre elles reconnaissant qu’il s’agit d’un viol). La même année, Ferd Grapperhaus, le ministre de la Justice et de la Sécurité, estimait à juste titre que la législation sur le viol a urgamment besoin de « modernisation ». Un pas en arrière, deux pas en avant : les Pays-Bas sont finalement sur la bonne voie.

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Le mythe du « vrai viol »

Extérieur. Nuit. Une femme marche seule dans une ruelle sombre. Un homme se précipite sur elle. Il a une arme, il la menace, elle se débat, implore, crie. Vous connaissez la suite. 

 

Sauf que dans 80 % des cas de viols aux Pays-Bas, la victime connaît son agresseur. Alors comment prouver qu’elle n’était pas d’accord ? Peut-elle montrer ses bleus ? A t-elle crié, et si oui assez fort ? S’est elle enfui ? Débattue ? Probablement pas, car 70 % des victimes sont paralysées par la peur. Alors, au regard de la loi, elles n’ont pas été violées.

 

D’après le droit pénal néerlandais (art. 242 du Code pénal), la victime doit prouver que son agresseur a fait usage de la force, de la menace ou de la contrainte pour qu’une relation sexuelle soit qualifiée de viol. La preuve de la coercition est donc l’exigence principale pour la pénalisation des agressions sexuelles. 

 

Aux Pays-Bas comme en France, un interminable calvaire judiciaire attend la victime de viol qui demande justice :  plus de 90 % des signalements sont classés sans suite aux Pays-Bas. C’est aussi pourquoi seulement une femme sur huit porte plainte et s’engage dans cette lutte, perdue d’avance.

 

Plein de bonnes intentions, le ministre Grapperhaus a donc proposé en février 2020 d’ajouter un nouveau délit au code pénal : « le rapport sexuel sans consentement », passible d’une peine deux fois moins lourde que le « viol » ! Si la victime ne peut pas prouver qu’elle a subi violence, contrainte ou menace, elle peut tout de même réclamer une justice au rabais.

Qui ne dit mot consent ?

L’effet de sidération psychique, souvent doublé d’un état de dissociation, est un mécanisme bien documenté et observable sur des IRM : la victime se paralyse entièrement, son corps se fige, sa mémoire se brouille, elle perd ses repères spatio-temporels et « sort de son corps ». Elle ne crie pas, elle ne s’enfuit pas, elle cesse d’exister. C’est une réaction psychologique normale, un mécanisme de survie que les victimes ne devraient jamais se (voir) reprocher.

 

Pourtant, même si la science explique ce phénomène, ces victimes n’ont pas droit à la même justice que celles qui auraient été en capacité d’ouvrir la bouche (à peine 30 %). 

AUX PAYS-BAS

Nouvelles victimes de viols chaque année
1
D'ENTRE ELLEs ONT ÉTÉ PARALYSÉES PAR LA PEUR
1 %
des signalements aboutissent à une condamnation
100 %
d'emprisonnement pour un violeur, en moyenne (2019)
99 mois
la culture du viol

La culture du viol est cette complicité collective qui s’observe aussi bien en France qu’aux Pays-Bas : il s’agit d’un ensemble de comportements qui visent à minimiser, normaliser voire encourager le viol. Cela va de « l’innocente » idée que la domination masculine est profondément sexy au refus de reconnaitre la violence sexuelle, la parole des victimes et donc de rendre justice.

 

Qu’est ce que le “sexe sans consentement” que tente d’introduire Grapperhaus sinon, par définition, un viol ?  Créer une nouvelle infraction avec une peine inférieure à celle pour le viol participe à minimiser ces crimes et à garder intact le mythe archaïque du “vrai viol”. Cette proposition de loi crée officiellement une “zone grise” et participe à culpabiliser les victimes qui auraient dû faire mieux pour réclamer une meilleure justice. 

 

De très nombreux.ses citoyen.ne.s et associations sont monté.e.s au front pour faire bouger les lignes : la loi doit changer, oui, mais dans le bon sens. Amnesty Pays-Bas a notamment fait un travail formidable en initiant des enquêtes et en lançant la campagne #LetsTalkAboutYES. Plus de 53 000 personnes ont également écrit au ministre pour l’inviter à réévaluer le viol plutôt qu’à créer une nouvelle infraction.

Vers une culture du consentement ?

Suite à ces débats, Grapperhaus a fait marche arrière et réécrit son projet de loi : toutes formes de relations sexuelles non consentie est un viol et l’usage de la violence/contrainte/menace une circonstance aggravante. Une personne pourra être condamnée pour viol si elle aurait dû savoir, mais n’a pas cherché à savoir, que l’autre ne voulait pas de cette relation sexuelle.  

 

C’est un changement essentiel de paradigme : on n’attend plus de la victime qu’elle se débatte et qu’elle “prouve” qu’elle ne voulait pas. La justice invite chaque partenaire sexuel à évaluer la situation pour s’assurer que la relation sexuelle est consentie. En cas de doute, la personne ayant initié la relation doit expressément demander à sa/son partenaire si elle/il est consentent.e. Ne pas prendre cette responsabilité est contraire à la loi. Le bénéfice du doute ne va donc plus à l’accusé mais à la victime ! 

 

Ce projet de loi ne fait finalement qu’accompagner les mentalités puisque 76 % des Néerlandais estiment que les relations sexuelles sans consentement mutuel sont des viols, même s’il n’y a pas eu recours à la violence. Pour 92 % des personnes interrogées, il est d’ailleurs parfaitement logique de demander le consentement de son/sa partenaire en cas de doute.

Démystifions le consentement

Dans une société où la pop culture véhicule encore l’idée qu’une femme doit toujours être un peu rétissante et un homme entreprenant, l’idée de demander un consentement verbal fait polémique. Ne devrait-on pas pouvoir s’arracher les fringues sans émettre d’autres sons que des grognements de désir ? Selon certains, cette injonction au consentement serait encore plus tue-l’amour que l’interminable recherche du préservatif.

 

Les bases :

Petitun : si deux bêtes en rut, majeurs, et en pleine possession de leurs moyens se jettent avec passion l’une sur l’autre dans un même élan de désir, il n’est pas nécessaire de demander un consentement verbal car il est physiquement exprimé. 

Le consentement se demande en cas de doute, et il est de la responsabilité de chacun de douter, surtout si sa/son partenaire a consommé de l’alcool ou des stupéfiants, ne se montre pas entreprenant, pleure, s’il existe un rapport de domination, etc.

 

Petitdeux : Le consentement, c’est sexy ! On voudrait nous faire croire que le consentement est une sorte de contrat rabat-joie à signer avant de passer au lit. Mais rien n’est plus sexy qu’un partenaire respectueux et à l’écoute des envies de l’autre. La magnifique scène de sexe de l’épisode 2 de l’incroyable série Normal People devrait vous en convaincre.

Comme souvent dans l’Histoire, les Pays-Bas ont donc un temps d’avance sur la France. Après la Suède, il serait le deuxième pays Européen à encourager une culture du consentement à travers une législation qui accompagne l’évolution des mentalités.

Les statistiques de cet article sont celles de l’enquête I&O Research pour Amnesty Pays-Bas, ainsi que les chiffres des 9 premiers mois de 2019 demandé par l’AD  à la police, aux autorités judiciaires et aux tribunaux.