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Diversité & inclusion : encore du chemin à parcourir en France et aux Pays-Bas

Diversité & inclusion : encore du chemin à parcourir en France et aux Pays-Bas

crédits illustration : @studiobfood

Le 8 mars 2020, les femmes néerlandaises manifestent leur ras-le-bol sur les réseaux sociaux, LinkedIn en particulier, en se rebaptisant Peter. Quelle était leur revendication en cette journée internationale du droit des femmes ? Dénoncer le fait qu’il y a plus de CEO nommé Peter que de femmes CEO aux Pays-Bas.

Presque 2 ans plus tard, le 1er janvier 2022, une loi (Inclusion Quota and Target Figures Act) impose aux grandes entreprises néerlandaises d’avancer vers l’équilibre des genres dans les instances de direction.

En France, depuis 2011, c’est la loi Copé-Zimmerman puis la loi du 24 décembre 2021 qui encadrent la représentation des femmes dans les instances dirigeantes des entreprises.

Voilà pour la “minorité” de genre. Qu’en est-il des autres minorités ? Leur représentation en entreprise est-elle balisée par la loi en France et aux Pays-Bas ? Les discriminations sont-elles sanctionnées ? 

Et surtout, au-delà des chiffres, de quelle inclusion parle-t-on ?

La diversité : partie émergée de l’iceberg

La diversité en entreprise, c’est le fait de refléter dans l’entreprise la diversité de la société. La diversité est souvent visible : on remarque que dans une équipe, par exemple, tout le monde ne se ressemble pas. On peut la chiffrer. 

Elle se manifeste sur les réseaux sociaux et les sites des entreprises : elle y est d’ailleurs parfois sur-jouée à grand renfort de photos issues de stocks d’images… 

Chiffrer la diversité en entreprise reste difficile puisqu’il faut pouvoir reconnaître les caractéristiques de chaque personne en termes de genre, d’origine, de religion, de sexualité, de handicap. Hors il n’est pas autorisé, justement pour éviter les discriminations de demander à une personne son ou ses appartenances. 

Comment dénombrer les minorités en entreprise ?

Pour avancer sur les questions de diversité en entreprise, il faut pouvoir évaluer où en est l’organisation. Ce qui est accepté pour le genre – faisant fi des personnes transgenres dans bien des cas –  ne l’est pas forcément pour les autres types de minorités.

En France, c’est la loi informatique et liberté qui encadre les pratiques des entreprises :

“La loi Informatiques et libertés, stipule en effet que “il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci.””  

Il est cependant possible de collecter des données sur la base du volontariat, en assurant bien entendu la sécurité de ces données. L’index diversité, mis en place par le gouvernement permet ce type de mesures : il s’agit d’un questionnaire en ligne rempli par les personnes qui le souhaitent.

Aux Pays-Bas, il est possible de faire un état des lieux sur les statistiques ethno-raciales grâce à CBS, le service de statistiques néerlandais. Pour cela, l’entreprise fournit à CBS les numéros fiscaux des personnes employées et reçoit une cartographie de la répartition ethno-raciale de ses effectifs. L’analyse peut également être spécifique à un service ou une entité. Aucune donnée personnelle n’est transmise à l’entreprise : elle saura qu’elle a x% de personnes d’origines étrangères dans ses effectifs, mais pas qui appartient à ce groupe.

Comment faire évoluer les choses ?

Il suffit de diversifier les embauches : réponse simple et simpliste ! 

Avoir la volonté de recruter de façon diverse ne suffit pas. Les biais cognitifs sont toujours présents et entre les personnes en charge du recrutement et les managers, les filtres appliqués auront souvent tendance à privilégier les personnes qui “ressemblent” aux personnes qui sont dans l’entreprise (biais de similarité).

L’argument du cultural fit n’est pas le seul à limiter les options… Il y a les réseaux constitués pendant les études : grandes écoles en France, associations estudiantines aux Pays-Bas. L’entre-soi est à l’œuvre et l’ouverture demande des efforts : que se passe-t-il quand une équipe de personnes entendantes embauche une personne malentendante ? Au début, on fait attention, puis petit à petit on oublie de l’inclure dans les conversations…

Pour éviter ce type de situations, on aura alors tendance à continuer à recruter des personnes qui nous ressemblent. CQFD

Les quotas fonctionnent 

L’instauration de quotas a montré son efficacité, comme en témoigne le recul de plus de 10 ans sur la Loi Copé Zimmerman : les conseils d’administration en France se sont ainsi féminisés plus vite que prévu : 23,7% de femmes en 2012, 34% en 2015, et presque 44% en 2020.

En comparaison, aux Pays-Bas, les femmes représentent 17% des postes dans les conseils d’administration en 2022.Rappelons que la loi néerlandaise n’est effective que depuis le 1er janvier 2022.

Les quotas ont néanmoins leurs limites : ils limitent les actions à l’entité définie par la loi. Le nombre de femmes dans les conseils d’administration a certes augmenté mais il n’y a pas de ruissellement vers les autres niveaux de management.

Autrement dit, les entreprises respectent la loi mais ne prennent pas d’initiatives qui permettraient une réelle diversité dans les organisations.

Et par ailleurs, les quotas concernent presque uniquement le genre, avec une exception pour les personnes en situation de handicap.

Les entreprises françaises de plus de 20 personnes doivent respecter un quota de 6% de personnes salariées en situation de handicap.

Aux Pays-Bas, l’approche est globale : d’ici 2026, les entreprises devront fournir 100 000 emplois à des personnes en situation de handicap. Pour ce faire, chaque année, les entreprises doivent s’engager sur un nombre de postes tenus par des personnes en situation de handicap. Cet accord a été passé entre le gouvernement et les organisations patronales. Avant cet accord, il n’y avait pas de quota pour les entreprises du secteur privé et le quota était 1,93% pour le secteur public.

Les quotas fonctionnent, mais ils ne traitent que le symptôme – le manque de diversité dans les entreprises – pas les causes et ils ne font rien ou pas grand chose pour l’inclusion.

L’inclusion : la partie immergée de l’iceberg

“La diversité, c’est recevoir l’invitation pour la fête. L’inclusion, c’est se faire inviter à danser.”  (Verna Myers). Cette expression a longtemps été utilisée pour expliquer la diversité et l’inclusion.

En réalité, si la diversité, c’est en effet participer à la fête, l’inclusion serait plutôt de savoir que l’on peut proposer la musique sur laquelle tout le monde va danser.

Qu’est-ce que l’inclusion ?

La première chose à comprendre est que ce sont les personnes marginalisées, appartenant à une minorité qui peuvent dire si elles se sentent incluses ou pas. Une organisation ne peut pas dire qu’elle pratique l’inclusion si des personnes appartenant à une minorité ne se sentent pas reconnues et à leur place dans l’entreprise.

L’inclusion, c’est une valeur et une culture d’entreprise qui permet à chaque personne, quels que soient son origine, sa religion, son orientation sexuelle, son handicap, son genre de savoir qu’elle peut prendre la parole et être entendue et qu’elle sera respectée quelles que soient les circonstances et qu’elle aura les mêmes opportunités que tout le monde.

Du côté de l’organisation, ça veut dire avoir mis en place un système permettant de faire respecter cette valeur.

Par exemple, si une personne ayant d’excellents résultats tient des propos ou a des comportements  sexistes, racistes, homophobes, etc. elle doit être sanctionnée. 

S’il existe des exceptions, il n’y a pas d’inclusion.

Autre exemple : l’inclusion, ce n’est pas de demander à une personne racisée de parler au nom de son groupe (supposé) d’appartenance. Chaque personne doit être considérée dans son individualité et son identité de genre, ses origines, son handicap ne sont qu’un aspect de qui elle est.

L’inclusion passe aussi par l’organisation du travail. La flexibilité des horaires, l’interdiction des réunions tardives, le droit à la déconnexion sont autant de moyens de favoriser l’inclusion des jeunes mères, des personnes en situation de handicap, par exemple.

Si l’inclusion se décrète comme une valeur de l’organisation, c’est dans les actions qu’elle se manifeste au quotidien.

Inclusion et bien-être

L’enquête de référence sur l’intérêt de la diversité pour les organisations est une enquête de McKinsey qui date de 2015 et qui montre une corrélation entre le niveau de diversité d’une organisation et ses résultats financiers. Cette enquête montre que les entreprises ayant le plus de diversité ethnique ont 35% de chances d’avoir de meilleurs résultats financiers que la moyenne de leurs concurrents. Le résultat est de 15% pour les entreprises avec le plus de diversité de genre.

Pourtant, en 2021, seuls 19% des employeurs néerlandais étaient convaincus que la diversité était importante pour leur organisation…

Dans une actualisation de cette enquête en 2019, McKinsey a mis en évidence le fait que si la diversité augmentait dans les entreprises, ce n’était pas le cas du sentiment d’inclusion :  seules 29% des personnes interrogées ont un sentiment d’inclusion. 

En France, en 2020, 30% des personnes salariées disent avoir déjà subi des discriminations (enquête Cegos) et 70% disent avoir été témoin de discriminations.

Aux Pays-Bas, en 2023, d’après TNO, les personnes ayant des origines étrangères sont 1,5 fois plus susceptibles de perdre leur emploi et ont 12% de chances en moins d’avoir une promotion.

Alors même que la diversité est vue comme un avantage concurrentiel, elle n’est pas cultivée par les entreprises.

Il en est de même pour le bien-être au travail.

Une étude britannique de 2013 montre que 60% des personnes se sentent plus motivées au travail quand l’entreprise prend en compte leur bien-être.

Or l’inclusion joue un rôle fondamental dans le bien-être au travail dans la mesure où elle permet d’être soi-même, de ne pas avoir à jouer un rôle mais aussi de profiter d’un environnement et d’une organisation du travail adaptés à ses besoins. Elle permet de diminuer les frictions et facilite les collaborations.


1. L’Europe compte 51% de femmes.
2. https://www.charte-diversite.com/quantification-ethno-raciale-des-effectifs-en-entreprise-quen-est-il-de-la-france/

Les chiffres semblent démontrer que la diversité et l’inclusion sont des atouts pour les entreprises, encore plus dans une période où recruter et fidéliser les talents est compliqué. Pourtant, si la diversité progresse, l’inclusion reste à la traîne. Seule une véritable volonté d’agir dans les entreprises, en formant et en sensibilisant, et en mettant en place un système d’audit régulier pourra faire évoluer la situation.