Expatriation : prison à ciel ouvert pour les femmes victimes de violences domestiques

Temps de lecture

0 minutes

Statistiquement, la personne la plus dangereuse pour une femme, c’est son conjoint. 

Pourtant, cette constatation avérée vous semble certainement alarmiste. C’est normal, la violence est un animal polymorphe et insidieux qui profite des stéréotypes pour s’insinuer dans les foyers les plus convenables. En 2023, le 3919 (la ligne réservée aux femmes victimes de violences conjugales, en France) a recensé environ 98 000 appels. Au niveau des Françaises de l’étranger, aucun chiffre représentatif, mais des signalements réguliers auprès des associations d’aide aux victimes.

Aussi riche soit-elle, une expérience à l’étranger requière de bonnes capacités d’adaptation, et peut s’accompagner de stress, d’isolement et de perte de repères. Ces facteurs de stress viennent bouleverser l’équilibre du couple et, dans certains cas, peuvent révéler ou aggraver des dysfonctionnements conjugaux, préexistants ou non, menant dans certains cas à de la violence. Les femmes expatriées qui suivent un conjoint sont donc plus à risque d’être victimes de violences, alors qu’il leur est encore plus périlleux de trouver de l’aide

 

Les Pays-Bas sont membres de l’espace Schengen. Ils sont situés à seulement quelques heures de train de la France. Notre pays d’accueil est par ailleurs réputé pour son ouverture d’esprit… Ces quelques centaines de kilomètres de distance suffisent toutefois à creuser un fossé culturel et linguistique difficilement franchissable. 

 

Dans les grandes villes, tout le monde parle anglais, mais la situation se complique lorsque l’on quitte les centres. Dans les plus petites communes périphériques, la police et les employés des structures publiques ne parlent pas nécessairement cette langue. La façon de communiquer représente parfois un obstacle encore plus important que la langue et l’abord pragmatique d’un agent néerlandais peut passer pour un manque de compassion, voire un rejet. 

 

Pour lutter contre la violence, nous devons accepter de regarder ses mécanismes systémiques en face et de nous défaire des idées reçues. Non, la violence n’assume pas toujours son nom, et oui, elle sévit aussi au sein de familles expatriées aux Pays-Bas qui ont « tout pour elles » au premier abord.

Quand la perte de repères active ou exacerbe la violence conjugale

Aussi excitante et foisonnante soit l’opportunité, l’expatriation est également synonyme de vulnérabilité et de stress dont les manifestations varient selon les individus. Derrière le rêve d’une grande aventure, les défis associés modifient l’équilibre ou le fonctionnement du couple, comme l’explique Lauriane Pfeffer. La psychologue clinicienne est spécialisée dans les violences fondées sur le genre : 

L’expatriation peut venir fragiliser le couple, il faut être solide pour partir en expatriation, savoir communiquer efficacement et faire confiance à l’autre, car on est dans un cadre où tous nos repères changent.

Tous les hommes ne sont pas de potentiels agresseurs, mais les biais de genre favorisent l’expression de l’agressivité chez des profils déjà fragilisés par des expériences de vie négatives. Dans certains cas, le stress peut alors activer ou exacerber une violence sous-jacente.

Dans un contexte d’un couple qui ne va pas bien, ce contexte d’instabilité émotionnelle entraîné par l’expatriation, peut empirer la relation. On peut ainsi tomber dans quelque chose d’encore moins régulé.

Et de potentiellement violent.

La toute puissance du mari et l’infiltration de la violence

Dans 90% des cas d’expatriation en couple, le conjoint suiveur est une femme. Il arrive que le couple se rencontre sur place, ou décide de déménager par envie et non par opportunité. Malgré tout, dans le schéma de l’expatriation traditionnelle, ce sont les femmes qui suivent leur conjoint. 


Elles ont parfois dû mettre leur carrière en pause, ou démissionner de leur emploi. Elles arrivent alors dans un environnement où elles passent de « femme active » à « femme au foyer ». L’intendance de la famille repose de facto sur leurs épaules. Si d’emblée, l’appartement de fonction, les revenus, et le cercle social sont avant tout ceux du conjoint, l’épouse doit déployer plus d’efforts pour trouver une activité professionnelle et tisser son propre réseau social.

 

Ce contexte permet de catalyser une violence existante. Un partenaire aux prédispositions à la violence qui contrôle les finances de sa femme, lui attribue des tâches domestiques d’office, ou façonne son cercle social, c’est déjà un partenaire qui fait preuve de comportements violents :

Dans le cycle "classique" de la violence conjugale, on va trouver cette dimension d'isolement social de la victime, et la coercition, notamment financière, qu'elle soit le fait d'une volonté consciente de l'agresseur ou non. Une victime isolée et sans ressource se retrouve plus facilement piégée, dans une situation de violence de laquelle il va être complexe de pouvoir s'extraire. En contexte d'expatriation, pour ces femmes qui suivent leur conjoint, l'isolement social et la dépendance économique sont là de facto, au moins temporairement, plus fréquents, et encore plus difficiles à contrecarrer. Elles peuvent être vécues intrinsèquement comme une forme de violence par la conjointe expatriée, même en l'absence de violences physiques et émotionnelles. L'expatriation joue donc un rôle de catalyseur.

Dans un contexte d’expatriation, la violence conjugale prend la forme d’une prison à ciel ouvert : à qui s’adresser quand on ne connaît pas la langue ni le système et qu’aucun proche ne peut recueillir ses confidences ?

 

Par ailleurs, même quand la femme est bien intégrée au cercle social de son mari, le climat d’entre-soi favorisé par l’expatriation, menace la victime : ses connaissances sont généralement celles de son époux, et l’agresseur sait préserver les apparences. Une dénonciation considérée comme suspecte peut s’ébruiter, pour “protéger” un agresseur que l’on pense victime. Trouver de l’aide auprès de la famille et des amis restés dans le pays d’origine s’avère parfois très compliqués. Exotisme, tremplin professionnel, expérience riche pour les enfants, Ces proches entretiennent une image idéalisée de la famille en expatriation… Si la victime a internalisé ce fantasme, elle peut avoir honte de ne pas être heureuse. C’est cette honte et cette culpabilité qui les empêchent souvent d’appeler leur famille ou leurs amis pour confier leur détresse.

Identifier et lutter contre la violence collectivement

Créé en 2020, le collectif Stop Violences Conjugales Infos & Prévention Francophones Pays-Bas accompagne les expatriées et les immigrées françaises victimes de violences conjugales aux Pays-Bas et sensibilise la communauté francophone à ce sujet.

 

Si ce collectif propose des ressources pour aider les femmes à échapper à leur agresseur, il alerte également sur les comportements insidieux : la violence, ce n’est pas seulement des coups et des insultes. C’est aussi : 

 

  • Des rapports sexuels imposés ou obtenus par la manipulation, la pression ou l’insistance,
  • La gestion souveraine des crédits du ménage sans accord préalable et dûment consentit. 
  • L’entrave à une activité rémunérée  (Même si elle est justifiée de prétextes “légitimes”).
  • La rétention revendiquée ou non de documents administratifs et de papiers d’identités.
  • La limitation des libertés, même sous couvert de “jalousie” ou de “conventions”.

 

Ces violences non exhaustives se cachent fréquemment derrière l’excuse d’un sale caractère typiquement masculin, ou d’un amour passionnel, et sont parfois difficiles à identifier.

expatriation_violence conjugales _ violentometre
expatriation_violence conjugales _ violentometre

Prévenir la violence, concrètement :

Avant de s’installer dans un pays étranger, Laurianne Pfeffer conseille d’aborder concrètement l’avenir et d’envisager tous les scénarios, même ceux auxquels on préfèrerait ne pas penser : 

 

“- Il faut envisager le pire sans tomber dans la paranoïa, on ne sait jamais. Une expatriation se prépare. Partir du principe que l’on verra sur place n’augure jamais rien de bon. Il faut se préparer au fait que ça va déstabiliser le couple.. Nous avons abordé le cas des femmes qui suivent leurs conjoints, mais dans le cas contraire, certains hommes ne sont pas du tout prêts à ne plus être celui qui assure les revenus. L’expatriation vient déséquilibrer les rôles et les attentes du couple : que fait-on si le conjoint désire travailler, mais ne trouve pas de travail, quel pourrait-être le projet alternatif ? Combien de temps la situation peut durer ? Combien de temps on se donne si ça ne se passe pas comme on le souhaite ? Il faut anticiper que loin de son cercle social habituel, dans un moment où l’on est  forcément être plus isolé, cela peut tourner rapidement au vinaigre, sans forcément tomber dans un contexte de violence, mais du moins de crise conjugale.

 

Une fois sur place, des ressources permettent heureusement aux femmes de trouver des solutions pour elles :

Numéro d'urgance violence conjugales expatriation
Numéro d'urgance violence conjugales expatriation

Quant à ceux d’entre nous qui ont la chance de vivre dans des foyers fonctionnels, ne fermons pas les yeux et agissons à notre échelle. Il peut s’agir d’écouter sans juger ni “secouer” une femme victime, même si elle n’est pas encore prête à quitter son conjoint. C’est aussi lui garantir un soutien infaillible, même quand elle y retourne ou ne met pas en pratique nos conseils. C’est aussi savoir mobiliser les acteurs compétents en cas d’urgence.