Pourquoi on ne parle pas (encore) de féminicide aux Pays-Bas ?

Crédits : Lauraine Meyer
Crédits : Lauraine Meyer

Temps de lecture

0 minutes

Il y a plus de féminicides aux Pays-Bas qu’en France ou en Espagne. Bien sûr, pas en nombre, mais relativement au nombre d’habitants.

Quarante-trois féminicides par an aux Pays-Bas, 57 en Espagne, 122 en France, mais l’Espagne a 2,5 fois plus d’habitants que les Pays-Bas et la France 4 fois plus…

Ces chiffres vous surprennent ? Peut-être parce que comme beaucoup vous pensez que les pays dits du sud ont une culture plus macho qui favorise les violences faites aux femmes ?

Mais les chiffres sont là : rapporté au nombre d’habitants, il y a davantage de féminicides aux Pays-Bas qu’en France ou en Espagne.

Et pourtant, le terme de féminicide (ou fémicide) n’est pas employé ici, que ce soit dans la presse ou les conversations courantes. Il n’y a pas de manifestations comme en France ou en Espagne quand une énième femme succombe à l’attaque d’un homme.

Quand nous avons commencé à en discuter au bureau, la première réponse de ma collègue néerlandaise a été : “pour moi, un meurtre, c’est un meurtre, peu importe le genre de la victime.” Voilà.

Qu’est-ce qu’un féminicide ?

Tous les huit jours, une femme est assassinée par son conjoint, ex-conjoint, petit ami ou ex-petit ami aux Pays-Bas.

Les féminicides ne sont pas des meurtres “comme les autres”. Un féminicide est le meurtre d’une femme parce qu’elle est femme. C’est un crime haineux comme le sont les crimes racistes. 

À un moment, le meurtrier se sent légitime dans son passage à l’acte, du fait de la place et du rôle qu’il attribue aux femmes dans la société. Rôle qu’il n’est bien entendu pas le seul à leur attribuer. 

Le féminicide n’est que l’aboutissement dramatique sur le continuum des violences faites aux femmes et se produit souvent au moment de la rupture ou du divorce. Quand la femme affirme son indépendance.

Si le meurtrier pense que la violence envers les femmes est légitime, c’est bien que cette violence fait partie d’un système plus large.

Le deuxième “Baromètre Sexisme” mené par l’Institut Viavoice pour le Haut Conseil à l’Égalité en France montre que 23 % des hommes de 24 à 35 ans trouvent qu’il est parfois nécessaire d’être violent pour se faire respecter (en tant qu’homme).

La Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen a appelé les États membres de l’UE, dans plusieurs rapports, à qualifier juridiquement de « féminicide » tout meurtre de femme « fondé sur le genre ». Appel qui n’est pas entendu par la France sous couvert de l’universalisme du droit.

Les Pays-Bas, une société (qui se veut) post-sexiste ?

Les Pays-Bas se voient comme une société post-sexiste. Pourtant, au printemps dernier, une campagne a été lancée sur LinkedIn pour dénoncer le fait qu’il y avait plus de CEO prénommés Peter que de femmes CEO aux Pays-Bas…

Il en est des féminicides comme de tous les faits de société : il faut les mesurer pour les comprendre et les combattre. Or, sans distinction des meurtres visant les femmes, on ne peut pas prendre la mesure du phénomène et le combattre.
56 % des femmes assassinées aux Pays-Bas l’ont été par un partenaire ou ex-partenaire ; c’est le cas de 4,6 % des hommes assassinés. Le genre de la victime et celui de l’agresseur jouent un rôle. Qui plus est, les meurtres de femmes ont lieu dans 80 % des cas dans la sphère personnelle.

Les recherches montrent que la violence à l’égard des femmes aux Pays-Bas (comme ailleurs) est largement fondée sur les stéréotypes de genres : un homme fort et dominant, une femme soumise.

“Meten is weten” (Mesurer, c’est savoir)

Comme on ne parle pas de féminicide, on parle de drame familial ou de dispute amoureuse. On ramène le conflit au niveau des personnes. On en fait un acte isolé. On parle même parfois de crime passionnel, ou on impute la violence à l’alcool.

 

Sauf qu’encore une fois, les féminicides font partie d’un ensemble de violences dont les femmes sont les victimes. Il y a un contexte sexiste préexistant au passage à l’acte. Il y a aussi des signaux d’alerte comme du stalking, des violences domestiques, un contrôle permanent, physique, psychologique et/ou financier.

 

Le mot féminicide a été inventé en 1992 par deux autrices américaines et est entré dans le Petit Robert en 2015 et n’est pas encore dans le dictionnaire néerlandais Van Dale.

Comment faire pour changer les choses ?

Pour Britt Myren, experte auprès d’Atria, citée par NPO3, il faut commence par reconnaître que les lois et les pratiques peuvent avoir un effet différent selon que l’on est une femme ou un homme parce qu’on n’a pas le même rôle ou la même place dans la société :

 

Par exemple, l’obligation d’éteindre les enseignes lumineuses entre 1 h et 6 h du matin en France peut avoir un impact sur le sentiment de sécurité des femmes dans la rue : moins d’éclairage, c’est aussi souvent moins de sécurité pour les femmes. Cette prise de conscience permet d’envisager des prises en charge spécifiques par exemple en cas d’agression, de dépôt de plainte, de viol.

La façon dont les forces de l’ordre perçoivent et traitent ces violences conjugales jouent un rôle. Les femmes sont-elles entendues ? Est-il clair pour les policiers que cette violence n’est pas un acte isolé ? La police comprend-elle que le contrôle d’une part et potentiellement la dépendance financière d’autre part jouent un rôle dans ce que la victime est prête à déclarer ou pas ?

Crédits : Lauraine Meyer

La façon dont la presse parle de ces violences joue aussi un rôle. Parler de crime passionnel, parler d’une dispute privée ne fait que minimiser les faits. Et c’est encore très majoritairement le cas aux Pays-Bas, même si les choses sont peu à peu en train de changer. La chaîne néerlandaise Nos, par exemple, emploi le terme féminicide et témoigne de l’inadéquation du traitement médiatique de ces meurtres.

Ne pas nommer ces actes pour ce qu’ils sont ne les fait pas disparaître : cela évite juste qu’on prenne la mesure du problème et qu’on y apporte les solutions adéquates.